L’organisation, dans le dispositif des décisions de justice, des restitutions consécutives à la résolution judiciaire de la vente d’un véhicule, procède essentiellement d’une construction prétorienne, en l’absence de dispositions légales ou même de théorie générale bien fixée gouvernant la matière. L’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 24 juin 2010 en est une nouvelle illustration.
Une Cour d’appel ayant ordonné, comme conséquence de la résolution de la vente d’un véhicule acquis par un particulier auprès d’un garage, la restitution du prix et celle du véhicule, celle-ci s’est révélée matériellement impossible à exécuter en raison de la destruction du véhicule lors d’un accident de la circulation. Le garage vendeur a donc tenté d’en tirer argument pour se soustraire à son obligation de restitution du prix en arguant devant le Juge de l’exécution de ce que l’exécution de l’arrêt aurait ainsi été rendu impossible. Les Juges d’appel ont suivi ce raisonnement en décidant que les restitutions devaient être concomitantes mais il est cependant censuré par la Cour de cassation au motif que cette concomitance n’avait pas été ordonnée dans le dispositif de la décision prononçant la résolution de la vente.
Automaticité des restitutions
Si doctrine et jurisprudence sont unanimes sur les effets de principe de la résolution ou de l’annulation d’un contrat de vente – le retour au statu quo ante par le jeu des restitutions qui en sont la conséquence, le vendeur rendant le prix et l’acheteur la chose, les modalités pratiques de ces restitutions ainsi que leurs implications économiques sont d’un régime très discuté et fluctuant.
Hormis les hypothèses de destruction pure et simple de la chose envisagées à l’article 1647 du Code civil du fait du vice qui l’affectait (dont le vendeur supporte la charge) ou du fait d’un cas fortuit (dont l’acquéreur supporte la charge), force est en effet de constater qu’aucun texte ne traite explicitement de la question, la jurisprudence existante intervenant au visa de l’article 1184 du Code civil qui pose le principe que « la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des parties ne satisfera point à son engagement ». On conviendra qu’il est dès lors un peu difficile de découvrir dans la loi le moindre principe directeur s’imposant au juge dans l’aménagement des restitutions.
Pas de nécessaire simultanéité
Si la restitution en nature, qui est règle, s’avère impossible, elle devra s’opérer en valeur. Il est en effet de principe que « les restitutions réciproques, conséquences nécessaires de la nullité d’un contrat de vente, peuvent être exécutées en nature ou en valeur ».
Mais lorsque l’impossibilité de restitution en nature n’est révélée qu’au stade de l’exécution, ce qui ne semble pas au demeurant avoir été le cas en l’espèce commentée, le juge n’a pu par définition l’anticiper et en tirer les conséquences.
L’apport de la décision commentée réside dans le principe que lorsque les juges n’ordonnent pas des restitutions concomitantes, celles-ci ne le sont pas nécessairement, de telle manière que le vendeur ne pourra se soustraire à la restitution du prix lorsque l’acquéreur ne sera plus en mesure de restituer le véhicule.
C’est une conséquence de la rigueur des effets attachés au dispositif des décisions de justice. En application de l’article 2 de la loi n°91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, « Le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution », l’article 480 du Code de procédure civile édictant quant à lui que « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche. »
Rappelons cependant que la chose jugée ne porte en principe que sur ce qui a été précédemment débattu et jugé, de telle manière que si le Juge n’a pas statué sur une demande liée par exemple à une impossibilité de restitution de la chose du fait de sa perte, il ne sera pas interdit au vendeur de saisir le juge du fond de cette question. Mais il n’entre pas dans la compétence du Juge de l’exécution de la trancher et cette circonstance ne saurait suspendre la possibilité pour l’acheteur d’obtenir immédiatement la restitution du prix s’il y a été condamné.
En application de l’article 8 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, le juge de l’exécution ne peut en effet ni modifier le dispositif de la décision de justice servant de fondement aux poursuites, ni remettre en cause la validité des droits ou obligations qu’il constate. Ainsi, lorsqu’un arrêt prononce la résolution de la vente et ordonne la restitution du prix sous réserve de la restitution du véhicule sans que la Cour n’ait été saisie d’une demande concernant les frais de gardiennage du véhicule exigés par un tiers, l’acquéreur ne saurait demander au Juge de l’exécution de les mettre à la charge de la société venderesse, bien que cela grève évidemment sa situation en l’obligeant à s’en acquitter pour être en mesure de restituer le véhicule.
Restitution du prix
S’agissant de la restitution du prix, les difficultés sont moins nombreuses, il s’agit du prix nominal qui a été payé, éventuellement assorti des intérêts au taux légal courant soit à compter de la vente, soit de la première mise en demeure.
Rappelons en outre que seul le vendeur est débiteur de la restitution du prix puisqu’il s’agit là d’une conséquence de l’anéantissement rétroactif du contrat . Le vendeur ne saurait par ailleurs être garanti par son propre vendeur de la restitution du prix car du fait de la résolution et de la remise consécutive de la chose, cette restitution ne constitue pas un préjudice indemnisable. Il ne lui est cependant évidemment pas interdit, en réaction à l’action résolutoire dont il fait l’objet, d’exercer une action symétrique à l’égard de son propre vendeur si les conditions en sont réunies, lui permettant ainsi d’obtenir restitution du prix qu’il avait lui même réglé et qui justifiera, tout aussi symétriquement, la restitution du véhicule à ce dernier, lorsqu’il l’aura lui même reçue.
Restitution du véhicule
Mais pour ce qui concerne la chose, en l’espèce un véhicule, les questions soulevées sont plus nombreuses et plus délicates : quid de l’usage qui aura pu être fait du véhicule jusqu’au jour où le vice s’est révélé et de la moins-value engendrée ? Quid des éventuelles dégradations, survenant fortuitement ou par la faute de l’acquéreur ? Où et quand l’acheteur est-il tenu de restituer ? Toutes ces questions ne trouvent pas, en jurisprudence, une solution bien tranchée.
Dégradations ou destruction
Sauf en cas de faute de l’acquéreur qui serait à l’origine de l’endommagement ou éventuellement de l’aggravation de celui-ci, en application de l’article 1647 du Code civil selon lequel la perte de la chose du fait de sa mauvaise qualité incombe au vendeur, l’acquéreur d’un véhicule affecté d’un vice ne saurait être condamné à le restituer « en état de marche ».
De même, en raison de l’effet rétroactif de la résolution, le propriétaire doit supporter les risques de détérioration fortuite de la chose.
Indemnisation du vendeur pour la dépréciation du fait de l’usage
En matière de garantie légale, la première chambre civile a d’abord posé le principe que la résolution prononcée au profit de l’acheteur n’expose pas ce dernier à devoir au vendeur une indemnité pour l’utilisation du véhicule avant semble-t-il de juger le contraire, tout en excluant une indemnisation liée à la seule vétusté puis de revenir à sa première jurisprudence en excluant y compris toute indemnisation pour l’usure liée à l’utilisation du véhicule, même très importante . Lorsque la dépréciation résulte en revanche d’une faute de l’acquéreur, notamment en raison d’un défaut de gardiennage, le vendeur pourra en être indemnisé. Mais afin que la question soit parfaitement byzantine, en matière d’inexécution de l’obligation de délivrance, la première chambre a symétriquement décidé que l’effet rétroactif de la résolution d’une vente oblige l’acquéreur à indemniser le vendeur de la dépréciation subie par le véhicule à raison de l’utilisation qu’il en a faite.
Lieu
En l’absence de principe bien fixé sur le sujet, la seule logique prescrivant qu’un contrat doive se dénouer la où il s’était noué, l’acheteur sera en principe tenu de restituer le véhicule à l’endroit où il en avait pris livraison, sauf décision différente du juge prononçant la résolution.
Ainsi, à l’heure d’internet où beaucoup d’acheteurs n’hésitent pas à traverser la France pour prendre livraison du véhicule qui avait été proposé dans une petite annonce, il est hautement préférable de demander au Juge de déterminer dans sa décision prononçant la résolution de la vente non seulement le lieu (domicile du vendeur ou celui de l’acquéreur) mais également celui du vendeur ou de l’acheteur qui aura la charge du coût éventuel de la restitution du véhicule (frais de transport). A défaut, des difficultés d’exécution sont toujours à craindre, obligeant à se tourner à nouveau vers le Juge, ce qui aurait pu aisément être évité.
Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 24 juin 2010
N° de pourvoi: 09-15710
Publié au bulletin Cassation
M. Loriferne , président
M. Alt, conseiller rapporteur
M. Mucchielli, avocat général
Me Spinosi, SCP Boutet, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 2 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 et 480 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’un arrêt du 8 juin 2006 a prononcé la résolution de la vente d’un véhicule intervenue entre la société La Seyne automobiles (la société) et M. X… et condamné la société à restituer à ce dernier la somme de 13 506 euros représentant le prix de vente ; qu’agissant sur le fondement de cet arrêt, M. X… a fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente à la société qui en a demandé l’annulation à un juge de l’exécution ;
Attendu que pour accueillir cette demande, l’arrêt retient que le prononcé de la résolution de la vente et la condamnation de la société à restituer le prix de vente s’entendent bien de la restitution concomitante du véhicule par M. X… et que celui-ci étant dans l’impossibilité matérielle de procéder à cette restitution, l’arrêt du 8 juin 2006 ne peut être exécuté ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’arrêt du 8 juin 2006 n’a pas ordonné, dans son dispositif, la restitution concomitante du véhicule, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 avril 2009, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Renault aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes respectives des sociétés Renault et La Seyne automobiles ; condamne la société Renault à payer à M. X… la somme de 2 392 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre juin deux mille dix.