Open/Close Menu Avocat | Droit de l'automobile

Il convient d’emblée d’exclure de nos développements la question complexe des possibilités pour un constructeur titulaire d’une marque de contrôler et donc le cas échéant de s’opposer aux conditions de la commercialisation de ses produits (reventes parallèles) ou à choisir l’entreprise qui les vend puisqu’il s’agirait alors d’aborder des pans entiers du droit de la distribution ainsi que les contours de la théorie dite de l’épuisement du droit du titulaire de la marque (article 713-4 du Code de la propriété intellectuelle), ce qui n’est évidemment pas envisageable dans ces colonnes.

Mais une autre problématique propre au domaine des services dans l’automobile résulte de ce qu’il existe, à côté des réseaux de concessionnaires et d’agents de marque qui disposent de liens contractuels formalisés avec les constructeurs qu’ils représentent et qui les autorisent à utiliser leur marque, un effectif important de réparateurs indépendants dits « multimarques » dont certains, notamment lorsqu’ils ont été un temps membre d’un réseau de constructeur ou ont été formés au sein d’une entreprise en faisant partie, disposent d’une expérience particulière dans l’entretien et la réparation des véhicules de cette marque particulière, les conduisant à vouloir en faire état dans les signes distinctifs utilisés par leur propre entreprise indépendante (enseigne et nom commercial essentiellement), ou plus généralement, dans les supports de communication à l’égard de la clientèle (publicités, documentation commerciale, papier à entête, etc.).
C’est là qu’est alors posée la question de la licéité d’une telle utilisation par un réparateur automobile non agréé.

Les tempéraments à l’absolutisme du droit à la marque

L’hypothèse la plus classique consiste pour l’entreprise indépendante du réseau à revendiquer, dans une enseigne ou dans une publicité, la qualité de spécialiste d’une marque, ce qui nécessite ipso facto de reproduire la marque considérée. Or l’article L713-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que :
Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : “formule, façon, système, imitation, genre, méthode”, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ;
b) La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée.

L’article L. 716-1 dudit code prévoit quant à lui que “l’atteinte portée au droit du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. »
L’absolutisme ainsi affirmé du droit de son titulaire sur sa marque est cependant immédiatement tempéré par l’article L713-6 qui prévoit néanmoins des exceptions car chacun sait qu’il n’est pas de construction juridique équilibrée sans affirmation d’un principe s’accompagnant de l’aménagement de ses exceptions. Il est en effet prévu que l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme :
a) Dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit antérieure à l’enregistrement, soit le fait d’un tiers de bonne foi employant son nom patronymique ;
b) Référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans leur origine.
Toutefois, si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de l’enregistrement peut demander qu’elle soit limitée ou interdite.

Sans ce tempérament, il serait donc impossible de reproduire la marque d’un constructeur pour proposer un service applicable à ses véhicules sans son accord, ce qui réserverait de facto une exclusivité à son réseau.

Jurisprudence française et européenne

Le critère légal de l’abus est donc constitué par le risque de confusion quant à l’appartenance au réseau. Si le consommateur ne peut se méprendre et que l’usage entre dans le cadre de l’exception, il est permis. Il a ainsi été jugé que l’utilisation par un ancien concessionnaire, qui possédait une expérience réelle pour les voitures de la marque, des termes « ateliers magasins spécialités Mercedes et autres marques » dans une circulaire à la clientèle ainsi que d’un tampon humide sur ses factures « spéc. Mercedes » ne constituait pas un usage illicite de marque (Cass. com. 17 décembre 1991, n° 89-21561). De manière plus générale, l’utilisation par un tiers de la marque d’un constructeur, en l’espèce BMW, a été considérée comme licite par la Cour de justice des Communautés européennes, lorsqu’elle indique que ce tiers commercialise des véhicules de cette marque, les entretient ou les répare. Mais cet usage de la marque ne doit pas donner l’impression qu’il existe un lien commercial entre l’entreprise tierce et le titulaire de la marque, et notamment que l’entreprise du revendeur appartient au réseau de distribution, (CJCE, 23 février 1999, C/63/97, Bayererische Motorenwerke AG), principe parfaitement identique au dispositif retenu par la loi française et sa jurisprudence d’application.

De même, se plaçant alors sur le terrain de la loyauté commerciale, il a été jugé que l’utilisation par un réparateur de la mention “spécialiste Porsche” dans les publicités parues dans la presse ne constituait pas un acte de concurrence déloyale, dans la mesure où il emploie une personne compétente en matière de moteurs de cette marque, qu’il n’est pas démontré de risque de confusion avec les concessionnaires dont la liste figure sur le carnet d’entretien remis aux acquéreurs des véhicules de la marque et que la publicité ne fait état que de la qualité de “réparateur motoriste” distinct d’un concessionnaire (Cass. com., 13 janv. 1998, n° 95-14.346).

Le recours par le réseau à l’action en concurrence déloyale

Outre le contentieux pouvant se nouer entre les constructeurs titulaires de leur marque et les réparateurs indépendants en faisant usage sans leur autorisation, des litiges beaucoup plus fréquents prennent naissance entre ces derniers et le réseau de marque, sur le terrain de la concurrence déloyale car il est en effet très rare en pratique qu’un concessionnaire exclusif, même s’il est techniquement titulaire d’une licence d’exploitation de la marque, soit juridiquement habilité à agir en contrefaçon sur son fondement.
Le critère retenu pour fixer la limite entre ce qui est toléré et ce qui est interdit est là encore presque identique à celui fixé pour l’exception au droit à la marque, c’est celui du risque de confusion dans l’esprit de la clientèle.
Un concessionnaire de la marque Citroën a ainsi pu obtenir l’interdiction de l’usage par un ancien agent de la marque de la mention « Citroëniste indépendant » dans ses publicités, ce dernier ayant en outre apposé une enseigne sur son garage constituée par la marque Citroën suivie des lettres « iste » moins larges, de proportions différentes et dans une autre matière », actes jugés déloyaux (Cass.com., 29 juin 1993, n° 01-21764).
De même, un concessionnaire exclusif de la marque est bien fondé à faire grief à un ancien concessionnaire de l’utilisation dans ses publicités de la marque Yamaha et de son logo en se présentant comme « agent agréé » ou « spécialiste » Yamaha, agissements constitutifs de concurrence déloyale, décision qui ne semble pas contredire la jurisprudence validant l’application de l’exception légale du droit à la marque pour l’utilisation du terme « spécialiste » dès lors qu’était parallèlement fautivement revendiqué l’agrément du constructeur (Cass. com., 15 décembre 1998, n° 96-21675).
Un concessionnaire exclusif de la marque BMW a également pu obtenir à bon droit des mesures d’interdiction et de publicité à l’encontre d’un concurrent représentant presque systématiquement son nom commercial accompagné d’un véhicule de la marque et ayant recours de façon permanente à des formules ambiguës telles que « spécialiste BMW » ou « inspection BMW » pour suggérer de façon insidieuse qu’il serait concessionnaire de la marque et alors que des témoins attestaient qu’il s’était effectivement présenté comme son agent ou son concessionnaire (Cass.com., 23 novembre 1999, n° 97-20462).

L’impératif de transparence à l’égard du client

Hors l’utilisation de la seule marque comme référence nécessaire à la commercialisation des véhicules de la marque, pièces ou d’accessoires ou encore comme information de la clientèle sur une compétence particulière concernant l’entretien et la réparation des véhicules d’un constructeur, il est donc interdit au réparateur indépendant, par l’utilisation de la marque et plus généralement de signes distinctifs identiques ou trop inspirés des originaux, de cultiver l’ambiguïté quant à son appartenance ou son rattachement à un réseau de constructeur. Outre les poursuites par le constructeur sur le fondement du droit des marques et celles d’un membre du réseau sur le fondement de la concurrence déloyale, le comportement fautif du réparateur non agréé laissant entendre qu’il appartient au réseau peut également constituer, à l’égard du consommateur, une pratique commerciale trompeuse au sens de l’article L.120-1 du Code de la consommation, au titre d’une « confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre signe distinctif d’un concurrent » (article 121-1, I, 1 du Code de la consommation) soit une incertitude quant à l’identité du professionnel (article 121-1, I, 2 f) du Code de la consommation), poursuites qui peuvent être initiées par le parquet, la victime (qu’il s’agisse du consommateur ou d’un concurrent lésé) ainsi que les associations de consommateurs agréées. Outre les dommages et intérêts qui peuvent être alloués aux victimes, les peines principales prévues par les articles L.126-4 et L.121-6 du Code de la consommation sont l’emprisonnement jusqu’à deux ans et/ou une amende pouvant atteindre 37.500 euros, celle-ci pouvant être portée au quintuple pour les personnes morales, outre diverses peines complémentaires et notamment la publication du jugement.
Il a par exemple été jugé comme trompeuse une publicité présentant un professionnel comme « expert » alors qu’il ne dispose d’aucune compétence spécifique (Cass.crim., 15 février 1982, n° 81-92.520).
L’équilibre des principes consiste donc non pas à exiger du réparateur de renoncer à informer sur des compétences techniques (qu’il peut justifier) mais à lui interdire de bénéficier indûment des investissements du constructeur dans le pouvoir d’attraction de sa marque, de créer un risque de confusion de la clientèle quant à son appartenance au réseau ou encore de porter atteinte à l’image de marque du constructeur. Le client doit savoir à qui il s’adresse, pour pouvoir choisir, entre un spécialiste indépendant identifié comme tel ou un membre effectif du réseau du constructeur.

Ici comme ailleurs, la liberté de l’un cesse lorsqu’elle cause préjudice à autrui.

Maître Fanny MILOVANOVITCH Avocat à la Cour Barreau de Paris 26, avenue Kléber 75116 PARIS | Tel : 07 63 72 10 12 | Mentions légales